2 ans que je n’y Ă©tais pas retournĂ©e…
2 ans que le Covid, sur ce coup-lĂ , m’avait bien arrangĂ©e…
2 ans que mes mardis aprĂšs-midis en classe n’Ă©taient plus boycottĂ©s…
2 ans qu’ELLE Ă©tait fermĂ©e…
Mais ce mardi… Dur retour Ă la rĂ©alitĂ© ! JournĂ©e d’horreur, de reprise…Je veux parler de la PISCINE et de la reprise de la natation Ă l’Ă©cole !

Cela faisait trois semaines que je prĂ©parais mes petits Ă©lĂšves Ă cette reprise ; trois semaines que – sans leur dire – j’essayais de me prĂ©parer psychologiquement aussi… Certains se rĂ©jouissaient, d’autres s’inquiĂ©taient beaucoup plus !
Alors, moi, l’Ă©tĂ©, en bord de mer, sous un soleil de plomb et 30 °C au compteur, avec mon fils et la perspective d’une bonne biĂšre aprĂšs, j’arrive Ă supporter tout milieu aquatique… Mais, avec 45 Ă©lĂšves, l’ambiance n’est plus tout Ă fait Ă la dĂ©tente… Laissez-moi vous conter cela… Et, PLONGEZ-vous dans l’ambiance !
- Les préparatifs.
» Moi, maĂźtresse, je suis trop content.e d’y aller. «
» Moi, maĂźtresse, j’ai un peu peur, et je ne sais pas nager… «
Mais, ne vous inquiétez pas les enfants, je suis là pour vous accompagner !

» Maman m’a achetĂ© un nouveau maillot de bain rose, il est trop beau! «
» Est-ce qu’il faut que j’emmĂšne une serviette? «
» J’adore faire des bombes ! «
» Moi, j’veux pas y aller ! «
» Tu verras, avec des lunettes, c’est vraiment cool. «
» Et toi, maĂźtresse, t’aimes la piscine ? «
Et ça a continuĂ© ainsi pendant de nombreux jours….
» On aura pied ? «
» Il faudra sauter ? «
» Tu nous emmĂšneras dans le grand bain ? «
» Ah non, moi je reste dans la pataugeoire. «
» On gardera le masque dans l’eau ? «
» C’est quand la piscine ? Mardi, c’est tout de suite ? «
» Je n’aime pas les bonnets, mais il paraĂźt que c’est obligatoire… «
» Moi, l’annĂ©e derniĂšre, papa m’a appris Ă sauter ! «
» Je n’aime pas la piscine… «
» J’ai le droit de ne pas y aller ? «
» Moi, mon frĂšre il m’a appris Ă nager lĂ oĂč je n’avais pas pied… «
» MaĂźtresse, il y a N. qui pleure car il veut pas y aller ! «
» Moi, je ne sais pas nager… «
» Le bus, ce sera long ? «
» Tu viens avec nous Ă la piscine ? «
» Y’a maman qui veut venir prendre des photos de moi Ă la piscine… «

AprĂšs de nombreuses heures – jours – semaines – Ă les Ă©couter et Ă rĂ©pondre Ă leurs interrogations, voire Ă les rassurer comme je pouvais (« Non, ne vous inquiĂ©tez pas les enfants, en gĂ©nĂ©ral je pousse les Ă©lĂšves du bord et je leur maintiens la tĂȘte sous l’eau ! ») – Bon, le second degrĂ© sera Ă travailler ! – le grand jour est arrivĂ©…
Je vous passe les moultes changements de protocoles sanitaires qui nous ont dit un jour on y va, puis on n’y va plus, ensuite seuls les grands iront, en fait personne n’ira, finalement tous les Ă©lĂšves peuvent y aller… Ce serait trop long Ă tout narrer. Je passerai donc sous silence ces malentendus ministĂ©riels…
- Le jour J.
Accueil du matin : ArrivĂ©e des enfants, presque tous ont le sourire – Bon, sauf N. qui est encore et toujours stressĂ© et qui n’a pas rĂ©ussi Ă convaincre ses parents de le porter pĂąle aujourd’hui…
Chacun porte, avec beaucoup de courage et d’envie, son petit sac Ă dos comportant ses prĂ©cieuses affaires… Je ressens Ă cet instant beaucoup de fiertĂ© chez nombre de mes Ă©lĂšves mais aussi de la joie et de l’apprĂ©hension !
Je passe la matinĂ©e Ă leur rappeler que » La piscine, ce n’est QUE cet aprĂšs-midi « . Mais, je les sens ailleurs durant les sĂ©ances de maths ou de dictĂ©e (en mĂȘme temps, c’est bien moins sympa, je vous l’accorde…).
Ce que mes petits loulous ne savent pas, c’est que moi aussi j’ai consciencieusement prĂ©parĂ© mon sac Ă dos, la veille, avec beaucoup de minutie ; et que je redoute autant que je me rĂ©jouis – non, la rĂ©jouissance… ça ce n’est pas vrai – de cette sortie natation…
Pause repas bien mĂ©ritĂ©e. Au retour, nous vĂ©rifions tous que nous avons bien nos affaires et je leur sermonne un ultime rappel concernant les rĂšgles de sĂ©curitĂ© avant le dĂ©part…
14h : ArrivĂ©e du bus, les monstres sont au taquet, je ne les contrĂŽle plus. Des cris, des bousculades, c’est le grand dĂ©part… On serait parti pour Londres ou Paris, l’Ă©motion aurait Ă©tĂ© aussi forte je pense… Faut dire que le bus, c’est dĂ©jĂ une activitĂ© extraordinaire pour les enfants !
MontĂ©e dans le bus, 45 °C. Port du masque obligatoire. Suffocation. Brouhaha dans le bus. Les enfants s’installent dans la plus pure tradition scolaire : les lĂšche-bottes et faux-culs Ă l’avant, les rebelles tout au fond ! Heureusement, la piscine n’est qu’Ă 20 minutes en car, mais cela sera bien suffisant pour me faire perdre 10 litres de sueur…. Avec ma collĂšgue, nous demandons au moins dix fois au chauffeur dâouvrir les fenĂȘtres, mais il hausse les Ă©paules. Ce dernier est en pull col roulĂ©, moi j’ai envie d’ĂȘtre dĂ©jĂ en maillot !
14h20 : Ăa y est, nous apercevons le lieu de prĂ©dilection – ou d’enfer – au loin. Des « OH », « SUPER », « PFFFF » commencent Ă se faire entendre…!! J’ai toujours aussi chaud, sĂ»rement un mĂ©lange de la chaleur du bus et d’apprĂ©hension de cet aprĂšs-midi… On arrive. Les enfants sautent du bus, presque avant l’arrĂȘt complet du vĂ©hicule. Un adulte au dĂ©part, l’autre Ă la fermeture de la marche. » On y va… 1, 2, 3 ………… 43 ! C’est bon ils sont tous lĂ ! Fichtre ! Pas d’excuse, on doit y aller, vraiment. Faisons le grand SAUT ! » đ
14h25 : A gauche, le vestiaire des garçons ; Ă droite, les jeunes filles… J’ai pris le vestiaire des gars : ils sont plus bruyants, mais plus rapides. Enfin… dâhabitude… Mais d’habitude, il n’y pas d’odeur… Avec le port du masque, notre nez a oubliĂ© les senteurs (in)dĂ©licates de nos jeunes Ă©lĂšves… Cela me revient comme un boomerang aujourd’hui ! Mais bon, je souris, je ne dois pas leur montrer que j’ai envie de vomir… » Allez les gars, on se dĂ©pĂȘche, on est les plus forts, on va y aller ! «
Chacun s’est dĂ©jĂ prĂ©cipitĂ© sur un porte-manteau et s’est assis sur le banc. Je vois des chaussettes voler, j’entends les enfants hurler, j’aperçois des slips (parfois trĂšs sales…) abandonnĂ©s sur le sol… C’est pas gagnĂ©! Ăa doit ressembler à ça l’enfer…. Je tente un rappel : » Les enfants, mettez bien toutes vos affaires au mĂȘme endroit, les chaussettes dans les chaussures, les vĂȘtements dans votre sac et le manteau au porte-manteau… Nâoubliez rien surtout ! » Bon, mes consignes ressemblent Ă un chant lointain qui se perd… Devant autant d’enthousiasme, j’abdique et prĂ©fĂšre aller me cacher dans le vestiaire individuel pour me changer et ne pas voir ce qu’il se passe. Courage, fuyons ! Et je vous avais dit qu’ici aussi, il faisait plus de 40°C ? C’est pas possible, quelqu’un nous en veut et a jurĂ© ma perte par la chaleur on dirait… Je n’en peux plus !
Dans la cabine, je fais au plus vite en essayant de ne rien oublier moi non plus… Lorsque j’en ressors, les Ă©lĂšves sont dĂ©jĂ presque tous en maillot de bain, ils ont Ă©tĂ© plutĂŽt efficaces finalement, si on ne regarde pas le sol oĂč sont jonchĂ©es plein d’affaires trempant dans de l’eau peu nette. Bon, on verra ça plus tard ! Pour le moment, c’est la grande valse des » Tu peux m’aider Ă mettre mon bonnet ? » qui commence.
Avez-vous dĂ©jĂ essayĂ© d’enfiler aisĂ©ment et Ă©lĂ©gamment ces tous petits morceaux de plastique non-Ă©tirable sur le large crĂąne d’un enfant ? En fait, c’est quasiment impossible… Je ne sais pas qui sont les crĂ©ateurs Ă l’origine de la conceptualisation d’une telle torture, mais lĂ aussi, on est en droit de se demander si on nous en veut ou si quelqu’un cherche Ă se venger… Heureusement, on a un peu de temps et voilĂ tous les adultes en train d’aider – laborieusement il faut le dire – les enfants Ă mettre des bonnets trop petits et non extensibles… Quelle joie ! Je suis en nage donc… Mon thermomĂštre personnel semble avoir dĂ©passĂ© la barre des 50°C…. Une fois affublĂ©s de ce drĂŽle d’attirail, j’ai l’impression d’avoir devant moi des extraterrestres avec les yeux Ă©tirĂ©s sur les cĂŽtĂ©s. Je ne reconnais d’ailleurs plus aucun enfant ! La sĂ©ance ne va pas ĂȘtre simple !

14h40 : J’ai chaud. Je transpire. Je suis trempĂ©e. Je suis dĂ©jĂ Ă©puisĂ©e avant mĂȘme d’ĂȘtre entrĂ©e dans l’eau ! Passage aux toilettes. » Allez-y, aprĂšs ce sera trop tard. » Puis, passage sous les jets d’eau des douches collectives. Et lĂ tu constates que de nombreux enfants ne savent pas se doucher… Et puis, c’est un sacrĂ© non-sens : les Ă©lĂšves doivent se mouiller avant d’entrer dans l’eau oĂč ils vont… se re-mouiller…. Ils vont devoir attendre trempĂ©s pendant plusieurs minutes ce qui leur permettra d’avoir bien froid. Bref.
14h45 : EntrĂ©e dans la piscine. Il y fait encore plus chaud, je me crois sous les tropiques avec le calme et le dĂ©paysement en moins. Un des maĂźtres nageurs sauveteurs (les fameux MNS que l’on surnomme avec ma collĂšge les M&M’S) me demande de garder le masque. Je refuse prĂ©textant un malaise si je conserve cette abomination au vu de la chaleur….
C’est partiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiii !!!!! Et lĂ , je commence une sĂ©ance dont je ne maĂźtrise pas grand chose mais je fais croire Ă tout le monde, et notamment les enfants et parents, le contraire… (Oui, on va pas se mentir, je suis pas M&M’S moi justement ! C’est dĂ©jĂ difficile de faire maths et français alors natation, n’en parlons pas !)
Ăa saute, ça pleure, ça hĂ©site, ça avance, ça crie, ça court, mais ça coule pas…. – pour le moment ! Et bien sĂ»r, il y en a toujours un pour demander : » MaĂźtresse, j’ai envie de faire pipi, je peux y aller ? «
J’Ă©tais partie pour rester sur le bord et hurler les consignes – oui, personne ne t’entend dans une piscine, donc tu cries – mais au vu de N., E. et L. complĂštement tĂ©tanisĂ©s, je n’ai d’autre choix que d’y aller. Quel sacrifice ! Ah, il faut sacrĂ©ment aimer son mĂ©tier…. Comme une derniĂšre chance d’esquive, je cherche des collĂšgues ou maĂźtres nageurs du regard mais il me semble que tout le monde baisse les yeux… Les rats quittent le navire on dirait ! Je pose fiĂšrement mon tee-shirt, je prends sur moi, respire un bon coup et me sens comme investie d’une mission. Tel un soldat partant en guerre… Je n’ai pas le choix, ils comptent sur moi ! Je suis lĂ pour eux, leur hĂ©ros….
Hop, je rentre dans l’eau. 20°C. Choc thermique. Je veux dĂ©guerpir ! Non, je n’aime plus ni mon mĂ©tier ni les mĂŽmes Ă ce moment lĂ . Je hais tout le monde et surtout celui qui a dĂ©cidĂ© de mettre une tempĂ©rature d’eau aussi basse…. Pourquoi j’ai fait ça? Je comprends maintenant mes petits Ă©lĂšves tremblotants et en train de devenir tout bleus… Et dire qu’il y a quelques secondes, je me plaignais d’avoir trop chaud… J’y vais, je n’ai pas le choix. Je tends la main, j’aide les rĂ©ticents Ă entrer dans l’eau » Mais, non, tout va bien, elle est bonne…. » Je ne suis plus Ă un mensonge prĂšs ! J’affiche un faux sourire et exhibe toute la bienveillance dont je suis capable. Enseigner, c’est un peu ĂȘtre acteur !
45 minutes de froid, dâaccompagnement, de jeux, de sauts, de cerceaux Ă aller chercher, de ceintures Ă accrocher aux tailles…
45 minutes de stress, redoutant qu’un Ă©lĂšve se noie.
45 minutes oĂč je me sens jugĂ©e par les deux maĂźtres-nageurs dont le c**** est vissĂ© sur une chaise Ă observer les moindres faits et gestes des instits non formĂ©s mais qui tentent de faire de leur mieux…
45 minutes de bruit…
15h30 : Trois coups de sifflets qui sonnent la fin du bagne⊠LibĂ©rĂ©e ! DĂ©livrĂ©e ! Fin de la torture… Je ne sens plus mes doigts tellement j’ai froid et je suis devenue sourde entre-temps ! Mais quelle galĂšre ! MĂȘme pas sĂ»re en plus que je leur ai appris grand chose aujourd’hui… Si, comment mettre une ceinture et comment ranger son slip dans son sac. Pffffffff.
On refait le trajet, mais en sens inverse : douche (je me demande encore si elle a une utilitĂ© puisqu’il n’y a pas de savon…) puis vestiaires collectifs. Mais lĂ , je me rappelle que les affaires avaient Ă©tĂ© nĂ©gligemment jetĂ©es au sol. Le rhabillage va s’avĂ©rer bien plus complexe que le dĂ©shabillage. C’est un « OĂč est Charlie? » gĂ©ant… Vais-je survivre ? J’ai froid, moi !
» MaĂźtresse, elle est oĂč ma serviette ? «
» MaĂźtresse, je n’ai plus mon slip ! «
» MaĂźtresse, M. Il ma poussĂ© ! «
» Je ne trouve plus mes lunettes… «
» MaĂźtresse, P. il veut pas me rendre mon caleçon ! Il l’a balancĂ© et je le retrouve plus… «
Ici, c’est l’apocalypse. Les chaussettes trempent dans l’eau, les maillots de bain volent dans tous les sens, quelques loulous s’amusent mĂȘme Ă danser tout nu, plus personne ne retrouve sa place sur le banc ni ses affaires…

Je m’en vais lĂąchement dans la cabine me sĂ©cher et me changer. Et quand je reviens, malgrĂ© les cinq minutes qui viennent de s’Ă©couler, la sbcĂšne est quasiment identique Ă celle que je viens de quitter. La plupart des enfants est encore nue, certains chantent Ă tue-tĂȘte, B. cherche toujours son slip…. AprĂšs de longues minutes d’efforts et de recherche intensive, nous sortons enfin respirer l’air pur, et chacun a rĂ©cupĂ©rĂ© – Ă peu prĂšs – toutes ses affaires !
15h40 : Re-bus, re-chaleur, re-masque, et re-envie de vomir… A la diffĂ©rence que le trajet est bien plus calme : certains Ă©lĂšves se sont assoupis, d’autres se coiffent, et d’autres encore se reposent… Ouf, ça fait du bien !
16h : Retour Ă©cole. Je rends les monstres aux parents. Je file vite pour rentrer chez moi et me poser au calme avec un bon thĂ© bien chaud… Ils m’ont usĂ©e !
17 h : Je suis chez moi, je vais me reposer… Mais..
» Maman, il est oĂč mon livre ? «
» Maman, tu veux faire un jeu avec moi ? «
La journĂ©e n’est pas encore terminĂ©e…